Introduction

La musique n’a pas toujours été un terrain pour la pure recherche artistique, ou un objet simplement commercial. Elle fut aussi populaire, au sens premier du terme, un exutoire essentiel à ceux qui n’avaient rien d’autre. Et c’est paradoxalement là, où la musique ne peut se permettre davantage que le dénuement, que l’art s’épanouit et s’éternise. Dans sa forme la plus nue, lorsque même l’instrument et le chant tombent les masques, l’espace est toujours plein, et résonne de la seule chose qui importe encore.

Le blues trouve sa source dans le terreau sudiste post-esclavagiste des États-Unis : ségrégation, misère, exploitation… Il permet aux Noirs de prendre une parole qu’on leur refuse ; il suffit parfois, lorsque vous entendez « My baby treats me so unkind », de remplacer « my baby » par « mon patron blanc, grand propriétaire terrien », et vous serez sans doute plus près de ce qu’entendaient, entre eux, les travailleurs des champs de coton…

Il est avant tout primordial, si l’on veut comprendre aussi bien la voie artistique que la voix populaire que représente le blues, de ne pas simplement l’aborder comme un courant musical. Il n’était pas l’emblème d’une génération, n’avait donné lieu à aucun hit planétaire, n’enthousiasmait aucun grand critique ou musicologue. Il rassemblait des opprimés ; et peut-être au-delà de les rassembler, parlait à chacun d’eux, personnellement, avec encore bien plus d’acuité. Dans un certain cadre racial et social, les musiques noires étaient davantage une lumière nécessaire qu’un simple goût artistique.

Le blues est à la confluence de nombreuses traditions musicales, émergeant d’une certaine cohabitation sociale forcée dans la vallée du Mississippi, dès le XVIIe siècle, suite à l’installation de plantations. Surtout esclaves africains, mais aussi Indiens natifs, colons britanniques, français, espagnols… Ces cultures ce sont confrontées, pour laisser une empreinte plus ou moins marquée sur le blues que l’on connaît. Le bluesman ne s’arrête plus aux folk-songs, largement puisées dans la tradition anglo-irlandaise, puis américanisés, qui racontaient les exploits d’héros mythiques auxquels les Noirs pouvaient s’identifier (on trouve encore souvent des allusions à John Henry, comme chez Mississippi John Hurt) ; il dit « je », raconte son histoire, devient le porte-parole du vague à l’âme de sa communauté.

Le blues est probablement né à l’extrême fin du XIXe siècle dans la région dite du Delta, entre Mississippi et rivière Yazoo, au Sud de Memphis. Mais il n’a été enregistré qu’en 1920, date où il était déjà devenu très populaire parmi les Noirs du Sud, se répandant déjà au-delà de son aire d’origine. C’est sur ce rural blues qu’il faut s’arrêter, si l’on veut comprendre tout ce qui se joue dans cette musique étrangement intemporelle.

Le but de cette présentation, au fil des articles, sera d’introduire tout un chacun au blues, dans sa forme la plus authentique, aussi bien à travers les artistes qui l’ont forgé que ceux qui le perpétuent. De faire découvrir des noms ou des albums, qui laissent entrevoir toute la force du genre, avec la transcendance et l’empathie comme dialogue. Et de révéler l’argument éminemment social qui l’habite, et qui en fait cette musique du présent, bien plus actuelle qu’on le croit parfois.

Remarque technique : les vidéos ponctuant les articles correspondent le plus souvent à des versions live ou altérées, mais présentant un intérêt, aussi bien pour saisir l’artiste que pour rendre la lecture plus vivante. En revanche, elle ne correspondent donc pas aux versions studios, qui sont bien sûr indispensables et pour leur part accessibles en cliquant sur les liens hypertextes de certains titres cités dans les articles. Ces versions sont donc en général statiques, c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un fichier audio.

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