III. Charley Patton

Voilà une des figures majeures du Delta Blues, que j’ai déjà mentionnée à quelques reprises. Charley Patton enregistre pour la première fois lors de sa session de juin 1929, découvert, tout comme Skip James, par H.C. Speir. Il a alors 38 ans, et joue déjà ses morceaux depuis près de vingt ans pour certains.

Dans cette session figure ce que les experts aiment à considérer comme son « masterpiece » : Pony Blues (dont vous avez déjà vu une version, avec Alvin Youngblood Hart). C’est aussi lors de cette session qu’il joue un autre classique, A Spoonful Blues ; sans doute une chanson à propos de la drogue, mais comme souvent, les paroles de Patton restent assez difficiles à saisir. Quoiqu’il en soit, on y découvre d’emblée toute sa maîtrise de la guitare slide. Dans Down the dirt road blues, on assiste à la complainte, où se mêlent rage et désespoir, d’un homme qui doit partir. Enfin, Shake it and Break it (but don’t let it fall, Mama), dansant à souhait, nous rappelle que cantonner Charley Patton à un rôle de bluesman serait trop réducteur : du blues au ragtime, en passant par des influences directement tirées du country, il jouait de nombreux styles différents, qui rendent son écoute d’autant plus agréable.

Il est rappelé dans les studios de Grafton en octobre 1929 ; visiblement, ses disques se vendent très bien. Il y enregistre l’un de ses titres les plus marquants, High Water Everywhere. Comme il le dit dans Devil Sent the Rain : « The good Lord send the sunshine, Devil he sent the rain », des paroles qui trouvent sans doute écho auprès des nombreux habitants du Delta qui durent quitter leurs maisons et toute leur vie à cause des catastrophiques inondations de cette année. Un morceau plein d’énergie, où Patton fait claquer sa guitare et tape du pied. Lors de cette session, il enregistre également un titre qui sera maintes et maintes fois repris par les grands noms du folk (Lonnie Donegan, Johnny Cash, Elvis Presley, Mississippi John Hurt…) : I Shall not be moved. Avec Going to move to Alabama et Henry Sims au violon, on ne peut pas ne pas penser aux Mississippi Sheiks, dont, je le rappelle, Sam, Armenter et Lonnie Chatmon, les demi-frères de Patton, faisaient partie. Cet instrument se retrouvera désormais dans de nombreux autres titres. Enfin, avec Some of these days I’ll be gone, on est une nouvelle fois à la frontière du blues, du country et du ragtime : un bel exemple du carrefour des genres que représentait Charley Patton.

La session suivante se déroule en juin 1930, où Patton n’enregistre que quatre titres à son compte –il accompagne d’autres personnes à la guitare. C’est avec Willie Brown, à la guitare également, qu’il joue donc ses quatre morceaux : notamment Some Summer Day, une reprise évidente de Sittin On Top Of The World, l’un des plus gros succès des Mississippi Sheiks.

Charley Patton attendra plus longtemps avant d’enregistrer à nouveau, en janvier 1934, à New-York City. Sa santé est au plus bas, et il est vrai que la qualité de sa musique est moindre. Lors de cette session, il reprend trois de ses premiers morceaux : Hang it on the wall (Shake it and Break it), Stone Pony Blues (Pony Blues) et High Sheriff Blues (Tom Rushen), et leurs versions originales sont indéniablement meilleures ; manque de chance pour nous, ces nouveaux enregistrements sont également d’une bien meilleure qualité (il a quitté le label Paramounts pour Vocalion). Cette session verra également quelques duos avec la femme qui partage alors sa vie, Bertha Lee, où, comme toujours lorsqu’il accompagne, il sait se faire discret, et ne pas voler la vedette –quand bien même il chante aussi.

Charley Patton meurt d’une crise cardiaque le 28 avril 1934, en laissant le souvenir à ceux qui l’on connu d’un homme de scène, jouant souvent avec la guitare entre les jambes ou derrière la tête. Il ne se fixait pas de contraintes, et a vécu dans la liberté et l’excès : aucune structure restreinte de la musique (le 12-bar blues n’existe pas pour lui), huit fois marié, une tendance plus ou moins marquée à l’alcool et à la bagarre… Sur certains de ces morceaux, comme Spoonful Blues, ou les negro spirituals Jesus Is A-Dying Bed Maker et You’re Gonna Need Somebody When You Die, il ne finissait même pas sa phrase, allant chercher la note avec son bottleneck sur sa guitare –remarquez qu’à part dans la phrase introductive, il ne prononce jamais le mot « spoonful » dans Spoonful Blues. J’ai lu qu’il « laissait son slide chanter pour lui »…

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